Sur les pas de Stevenson

 
 

Sur les pas de Stevenson

Gaston est parti sur un coup de tête. Il a fait son sac, acheté son billet de train et des cartes d’état-major, repéré les lieux où loger. Destination : le Puy en Velay, une ville qui fleure bon le Moyen Age en ces jours de fêtes qui voient habitants et hôtes de passage tenter de remonter le temps à grands renforts de costumes, de pièces et de jeux anciens. Il a découvert la cité inconnue, plus charmante que belle, sous un beau soleil d’automne.

Puis, à l’aube du lendemain, il s’est élancé, seul, sur le chemin emprunté par Robert Louis Stevenson. En 1878, l’écrivain écossais avait relié le Monestier-sur-Gazeille à Saint Jean du Gard, accompagné de son ânesse Modestine. Une aventure pour l’époque à travers le verdoyant Velay, le menaçant Gévaudan, la montagneuse Lozère et les austères Cévennes, où Camisards et Catholiques se déchirèrent au nom d’un même Dieu.

Gaston a marché dix jours, faisant halte dans des gîtes tenus par des gens au cœur d’or et prêts à rendre service.

Il a traversé Le Bouchet-Saint Nicolas, Langogne, La Bastide-Puylaurent, Le Pont-de-Monvert, Florac, Cassagnas, Saint Etienne Vallée française, villages en partie désertés, où demeures aux volets fermés, lavoirs, abreuvoirs, fours banals et maisons d’assemblée semblent inanimés à jamais. Dans ces villages, on lit plus de noms sans visages gravés sur les flancs des monuments aux morts qu’on ne voit de silhouettes anonymes parcourir les rues. Seules quelques placettes dotées de halles et d’enseignes caduques de cafés, de cordonneries et d’épiceries laissent imaginer l’activité qui pouvait jadis y régner. Quelques statues, quelques stèles honorent les enfants du pays qui ont connu la notoriété, le chimiste Jean Baptiste Dumas, enfant d’Alès, Pierre Victor Galtier, né à Langogne, qui mit au point un vaccin contre la rage ou encore quelque obscur et éphémère ministre sous la Troisième République.

En chemin, il a juste appris à faire silence, à prêter attention à son souffle, à écouter le crissement de ses pas sur la caillasse et le sifflement puissant du vent à travers les pins. Il a tenté d’affermir l’art de se retirer après une vie d’études et de travail, de se contenter d’être seul, loin du bruit de la ville et du regard indifférent des autres. Il a rencontré des randonneurs joyeux et aimables, prêts à causer un peu et à partager leurs émotions, d’autres retranchés au fond d’eux-mêmes, tout juste aptes à accorder un regard quand il s’agit de demander son chemin. Il a croisé des cueilleurs de cèpes, des employés forestiers, des bergers et des bergères menant leur troupeau grâce à la ronde efficace de leurs chiens. Il a vu des chasseurs en tenue militaire, sortant de leurs véhicules 4*4, prêts à en découdre avec des sangliers en surnombre comme s’il s’agissait de garantir leur propre survie. Il a médité - grand verbe pour décrire de modestes pauses- au fond de sobres églises, encore fréquentées par quelques rares femmes en prières.

Sur les pas de Stevenson, Gaston a cheminé de clocher en clocher, de croix en croix, de collines en vallées, gravi puis dévalé les drailles anciennes des troupeaux transhumants. Il a transpiré sous le soleil, s’est abrité de la pluie et cherché son chemin à travers l’épaisse brume du matin. Cependant, il n’a pas succombé au bouleversement de quelque révélation. Il a appelé Dieu mais seuls les oiseaux ont répondu par leur chant. Il n’a pas ressassé son passé, pas non plus imaginé tel nouveau concept, échafaudé des théories audacieuses, caressé d’ambitieux projets. Non, il n’a rien fait de tout cela. Il s’est contenté de ressentir, de respirer, de regarder et d’écouter. De rentrer en soi-même… Marcher seul dix jours durant représente, peut-être, une expérience mystique. Plus sûrement : celle du silence.La seule qui vaille.