Musique en Côte Basque - Alexandre Tharaud

 
 

Musique française en Côte Basque – Concerts des 3 et 5 septembre 2007

Belle soirée de musique française proposée au Théâtre de Bayonne et servie par un trio rompu à ce genre d’exercices. Dans la Sonate n°1 pour violoncelle et piano en ré mineur de Claude Debussy, le violoncelliste Henri Demarquette sert l’oeuvre en musicien sobre, solide et profond, tandis que Frank Braley réussit à structurer, ponctuer et souder cette pièce, dont il capte bien l’esprit évanescent.

La Sonate n°1 pour violon et piano en ut mineur (op.32) de Camille Saint Saëns exige des interprètes non seulement un sens véritable du phrasé et de la respiration, mais encore une grande maîtrise technique, afin de dominer un Finale, toccata violente et virtuose, marquée d’accents de tristesse. A la hauteur de sa réputation internationale, Renaud Capuçon répond avec brio, majesté et intensité à ces exigences, tandis que Frank Braley, tout occupé qu’il est à démontrer plutôt qu’à exprimer, parvient plus difficilement à traduire l’essentiel d’une œuvre au style dramatique et sombre.

Le Trio avec piano en la mineur de Maurice Ravel fut, dit-on, composé en 1914 à Saint Jean de Luz, où ce natif de Ciboure fit de fréquents séjours estivaux. Ses quatre mouvements s’y succèdent en toute indépendance, avec çà et là des traces sublimées de folklore basque et de musique orientale. Le trio excelle à mettre en relief l’alternance de fanfares, d’étincelles et de sonorités profondes et recherchées, tout en poussant l’auditeur dans ses retranchements par un jeu précis, car la musique de Ravel se doit d’être détaillée. Toutefois, Frank Braley, avec son toucher doux et vaporeux, plus mélodique qu’harmonique, manque ici de corps et confine parfois à la préciosité, alors que Ravel demande plus de vigueur et d’intensité dramatique. Regrettons ce décalage, à vrai dire perceptible toute la soirée, entre sa lecture des œuvres, très impressionniste et après tout respectable, et celle de ses deux partenaires, au jeu plus affirmé et dense. Une différence de regard et un manque de cohérence toujours gênants en musique de chambre.

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Servi par l’excellente acoustique de l’église de Ciboure, Alexandre Tharaud, nous livre une forte version de l’intégrale de l’œuvre pianistique de Ravel. Excellent connaisseur, il la sert par un jeu perlé, phrasé et toujours en quête des plus beaux timbres. Menuet antique, Sérénade grotesque, Kaddisch se succèdent en évocations tour à tour nuancées, burlesques ou douloureuses. L’inédite Parade, redécouverte par l’interprète, retient l’attention tant elle est jubilatoire et riche en clins d’œils enfantins. Sa Berceuse sur le nom de Fauré est si tendre qu’on aimerait pouvoir la chanter à tous les enfants de la terre. Avec les fameuses Valses nobles et sentimentales, notre pianiste nous entraîne dans un tourbillon vertigineux, tantôt frais et sautillant, tantôt languide et décadent ; sa Pavane pour une Infante défunte et son Gaspard de la Nuit sont tout aussi maîtrisés et impeccables.

En vrai musicien, Alexandre Tharaud va chercher les notes au fond du piano et les envoie avec chaleur au public, il nous prend un peu de notre temps mais il nous le restitue aussitôt sous la forme d’une durée ressentie. Au terme de quelque ruissellement, il se rétablit sur une note-pivot, puis reprend son élan ; grâce à lui, la musique de Ravel, bien au delà de sa perfection formelle, prend l’allure d’une danse mortifère, le goût d’une ciguë délicieuse que l’on boirait bien jusqu’au point d’orgue final.

Remi Huppert.