Mourir à Grenade

 
 

Interview par les membres du CERCLE, et CR des échanges avec l'auteur de «Mourir à Grenade » Rémi Huppert, que l'on pourrait surnommer « le marcheur mélomane »

19 décembre 2006.

Résumé du livre : Mourir à Grenade raconte l'histoire d'Enrique, fils de Maria,contrainte à l'exil en 36 Maria vit toujours à Provins jk.Enrique après 40 ans d'absence rejoint son pays natal et revient à Grenade, il sait qu'il va mourir bientôt. Il a vécu à Viznar sous le régime franquiste. Enrique a été le précepteur de Juan, fils d'un aristocrate. En arrière plan, on sent l'âme de Lorca, poète maudit et mort sous le régime franquiste.

CERCLE: Quelle a été l'origine de ce livre et Lorca vous a t-il inspiré ?

R.H. : Longue genèse du livre ;je suis allé à Grenade en 93, et visité Viznar, village d'origine de Lorca à une époque où les gens étaient encore très méfiants par rapport à la période franquiste J'ai passé du temps dans cette ville que je ne connaissais pas pour m'en inspirer, j'ai fait aussi un travail de recherche et interviewé des exilés de la guerre. Je voulais écrire un livre sur la guerre d'Espagne et sur ces anciens réfugiés, sujet méconnu et qui m'intéressait. Jankelevitch disait qu'on ne s'intéressait pas assez à l'Europe du Sud, Lorca est venu après.

Mes livres sont en effet souvent basés sur la même logique, je parle de l'exil et d'un homme qui s'y rattache, les écrivains m'inspirent Voyage à Leningrad évoque Yourcenar , L'ombre de Laure évoque le charme de Proust. Mourir à Grenade évoque Lorca.

CERCLE : Pourquoi ce thème de l'exil rémanent dans tous vos ouvrages ?

R.H : Le thème de l'exil m'intéresse, je me pose la question de l'identité, la garde t-on après son départ, pourquoi part-on ?

J'ai une histoire personnelle qui me rappelle l'exil mais ce n'est pas pour cela, de toutes façons, ce n'est pas très original, nous avons tous plus ou moins un lien avec l'exil.

Personnellement, je me trouvais à Ventiane (Laos) quand les chars sont rentrés, mais je ne pense pas non plus que ces faits sont à l'origine de mon intérêt pour l'exil. Ce thème m'intéresse car je pense que le destin des exilés est une grande tragédie.

CERCLE : Pourquoi Grenade ?

R.H : De Falla était de Grenade, l'origine du livre est très musicale J 'ai visité la maison de Lorca, de De Falla, j'en ai gardé des images romanesques.

CERCLE : : On sent la poésie de Lorca, sur un rythme à 3 temps,(rythme de valse), les moments en France sont plus linéaires, le rythme est différent selon qu'on se trouve en France ou en Espagne comme si vous vous en étiez imprégnés.

R.H. : C'est une imprégnation inconsciente plutôt qu'une imprégnation laborieuse Enrique (le héros du livre avait une vie malheureuse en France) L'histoire de ce livre est bien le retour à Grenade, un travail de mémoire. Il est à la fin de sa vie.

CERCLE : Vous êtes aussi mélomane, avez vous dit. Faites-vous des liens entre la musique et l'écriture ?

R.H. : Cela renforce mon goût pour la musique, ,ici pour De Falla, Albeniz ; j'essaie d'installer une sorte de musique des mots, la sonorité d'un mot est importante, j'essaie de la traduire, un livre doit pouvoir être lu à haute voix, il faut que ce soit mélodieux

CERCLE : On a le sentiment que vous aimeriez que l'on fasse acte derepentance

R.H. : : Mon héros est républicain mais ce n'est pas le message principal, je n'ai ménagé aucun camp, je suis bouleversé par le meurtre de Lorca qui n'avait que 36 ans, c'est un crime contre l'humanité, il aurait pu être Shakespeare. Sa disparition dépasse les frontières.

Lorca a mené un combat militant, on ne connaît pas toujours ce combat.

CERCLE : En fait dans ce livre, il y a 2 histoires en une

-cheminement de Lorca

-cheminement du héros

De même 2 moments de l'exil, celui de la mère et celui des enfants Enrique a un retour réussi pour la 2ème fois, il revient à Grenade, il se retrouve, on sent cette recherche, cet apaisement.

R.H. : Je pars du principe que la vie est un périple en hélice, on finit parretourner au point de départ. Enrique prenait plaisir malgré les appréhensions (vertige, ..) j'ai essayé de montrer au départ son malaise puis un retour heureux.

CERCLE :Je l'ai lu deux fois , pas de la même façon, la 1ère fois, j'ai surtout vu l'exil, la guerre d'Espagne, la 2ème fois, les aspects relationnels m'ont frappé :Chica, Juan et Enrique. Pour moi Mourir à Grenade est une sorte de vie à l'envers, quand il redescend pour mourir, il redécouvre sa vie.

La 2ème fois permet de faire bien ce que l'on n'a pas bien fait la 1ère fois.

R.H. : On lui a volé son enfance, quand il revient en Espagne, il s'autorise à revivre une enfance par l'intermédiaire des adolescents.

CERCLE : On peut se poser la question : « Est-ce un livre triste ? » , La mort de Chica après l'ascension ce n'est pas triste.

Chica, est étrange comme personnage, c'est le seul dont je ne peux expliquer son apparition, ni les raisons pour lesquelles j'ai créé ce personnage.

CERCLE : Pas si facile à lire, c'est un grand monologue intérieur, pas évident d'y rentrer.

Dans Mourir à Grenade il y a une dimension esthétique, c'est évident que revenir à Grenade est plus agréable que revenir dans un coin anonyme sans beauté Mais pourquoi 2 fois ?

R.H. :Idée du périple, on revient au point de départ, la deuxième fois, on a un souvenir de la 1ère fois, c'est un accomplissement

Certains de mes personnages m'ont été inspirés par la réalité, j'ai organisé des interviews de personnages réels qui avaient connu cette époque, ex : le maçon a fait un réel parcours maçonnique et sa loge a beaucoup aidé d'autres réfugiés, il s'agissait d'un ancien ouvrier qui avait une attitude de déni par rapport au retour.

Il a lu le poème de Lorca et trois minutes après il éclatait en sanglots.

CERCLE : J'ai noté les relations avec Juan, c'était souvent à l'occasion de marches.

R.H. :en effet, c'est une démarche péripatéticienne, on apprend en marchant, c'est aussi un des passages le plus autobiographique, je m'interroge à la façon de se comporter, la part d'éducation que l'on peut apporter à ses enfants.

CERCLE :Autre remarque sur la façon d'écrire Les héros marchent beaucoup dans la ville , vous semblez tenir à décrire l'espace.

R.H. : J'aime aller dans les endroits que je décris, en ce moment j'écris un livre sur le Viet Nam, j'ai besoin de sentir, de flâner, la marche est très inspiratrice.

Par ces marches, de nouvelles idées surgissent, je ne peux faire aucun écrit sans avoir marché, c'est une façon d'être.

CERCLE : Les personnages sont attachants mais sous jacent il y a aussi la rumeur, les ennemis sont là, tout autour

R.H. : Ce thème (le regard social) m'intéresse, celui qui salit tout " Moins ils en savent, mieux ils l'expliquent ".

CERCLE : Beaucoup aimé la fin, j'ai été interpellée par le fait de retrouver l'enfance avec les jeunes Il « tue » son père une sorte d'icône Ce cheminement intérieur est devenu une sérénité, renversement complet du personnage qui devient croyant à la fin.

R.H. :Ca vous paraît crédible ? le retour le transforme, c'est un cheminement possible à l'approche de la mort.

CERCLE : Votre livre dégage une sorte de lenteur, on a l'impression d'une ville endormie ?

R.H. : j'ai visité la ville au printemps, Grenade est une ville nonchalante, tranquille Le retour d'Enrique est progressif, il prend le temps, c'est voulu Si ça c'était passé à Barcelone, ça n'aurait pas été la même chose.

Remi Huppert a tenu à remercier les participants. « Ecrire est un moment difficile, de solitude, on n'a pas souvent l'occasion de dialoguer avec ses lecteurs, j'ai été frappé par les questions, ce que vous avez perçu, reçu qui correspond à ce que je voulais faire, c'est vraiment un plaisir d'échanger , vous m'avez donné la force de continuer ».