Alkan, Poulenc, Ohana, compositeurs français

 
 

Maurice Ohana

1913-1992

La vie de Maurice Ohana est placée sous le signe de la mobilité et de l’ouverture. Né à Casablanca, il gardera… jusqu’en 1976 la nationalité britannique issue de son père né à Gibraltar. Très jeune, formé par le grand professeur parisien Lazare Lévy, il débute comme pianiste et se rend au Pays Basque où sa famille est fixée ; sa carrière est prometteuse. La guerre, où il combattra, l’amène à Rome, où Alfredo Casella le prendra comme élève à l’Académie Sainte-Cécile. Démobilisé, établi à Paris en 1946, il fait connaître ses premières œuvres et fonde, avec trois amis, le « Groupe Zodiaque », lequel défend la liberté d’expression contre le « dogmatisme » des mouvements dodécaphoniques ou sériels.

Attaché à ses origines andalouses, élargissant leur essence musicale à une dimension universelle, Ohana révèle alors son tempérament profondément novateur. Puisant dans la tradition ibérique, ou nord-africaine, il brise les barrières entre les genres, les renouvelle par une expression qui lui est propre, affranchissant la gamme du carcan diatonique, le rythme de la barre de mesure, les techniques vocales de l’emprise du bel canto. Se tenant à l’écart, Ohana est pourtant dans son temps. Infatigable, il explore, cherche, innove. Ses micro-intervalles (quarts de tons, tiers de tons), utilisés notamment dans le Tombeau de Debussy (1962), sont concomitantes de celles du Mexicain Julian Carrillo (1875-1965), d’un Charles Ives, ou encore d’un Hans Bach (Concerto pour piano à quarts de tons et cordes, 1930), d’un Ivan Wyschnegradsky (1893-1979) (Dithyrambe, 1926; Prélude et Fugue, 1929) ou d’un Aloïs Haba (1893-1973) et ses œuvres en quarts et en sixièmes de tons. Pour autant, il ne renoncera jamais à sa veine ibérique, du Llanto por Ignacio Sanchez Mejias (1950), marqué par la double influence de Manuel de Falla et du «cante jondo» cher à Garcia Lorca, le poète admiré, à des œuvres plus récentes.

Maurice Ohana ne pratiqua pas l’enseignement et n’eut point d’élève ; peut-être parce qu’il ne se reconnut lui-même aucun maître. "Les grandes leçons de musique, ce ne sont pas les musiciens qui me les ont données. Je les ai reçues concrètement de la mer, du vent, de la pluie sur les arbres et de la lumière, ou encore de la contemplation de certains paysages que je recherche parce qu'ils ont l'air d'appartenir plus à la création du monde qu'à nos contrées civilisées." Une conception de l’univers où se mêlent, avec bonheur, un amour passionné de la vie, un attachement viscéral à la liberté et un authentique sens poétique.

Charles-Valentin Alkan

1813-1888

Charles-Valentin Alkan naît de parents juifs parmi cinq frères et une sœur, tous musiciens qui adoptèrent le prénom de leur père Alkan Morhange. Enfant prodige, il entre à six ans au Conservatoire de Paris, y étudie avec des professeurs tels Joseph Zimmermann, professeur de Georges Bizet, César Franck, Charles Gounod. Il en sort avec trois premiers prix de piano, d'harmonie et d’orgue. A dix sept ans, il est déjà un virtuose réputé.

Alkan est un compositeur très original. Ses titres évoquent Couperin. Ils anticipent Satie. Ses trois grandes études, op. 76, regroupent une étude pour la main gauche (probablement la première jamais écrite) et une autre pour la main droite (la seule écrite au XIXème siècle), ainsi qu’un mouvement semblable et perpétuel pour les deux mains réunies. Le Deuxième recueil d'impromptus, op. 32, comprend des airs à cinq temps et sept temps, audace rythmique inouïe, réitérée dans l’ultime étude dans les tons majeurs, op. 35 (1848), notée en 10/16. La Grande sonate, op. 33, intitulée Les Quatre Âges, comprend quatre mouvements sous-titrés « Vingt ans », « Trente ans : Quasi-Faust », « Quarante ans : un heureux ménage » et « Cinquante ans :Prométhée enchaîné ». La fugue concluant le remarquable « Quasi-Faust » fait appel à neuf voix, sommet dynamique et expressif escaladé à coup d'accords triple forte frappés aux extrémités du clavier.

Charles Alkan mérite mieux que sa réputation de pur virtuose, que seules les prouesses techniques auraient stimulé. Certes, ses groupes d'octaves et d'accords obligent l'interprète à des extensions et des déplacements véloces, des gammes et des arpèges fusants, des notes répétées en batteries. Mais il se montre aussi un remarquable miniaturiste, notamment dans ses 48 Esquisses op. 63 de 1861 ou dans l'abrupt Scherzo diabolico (de l'op. 39) où résonne le terrifiant rire d’un Méphistophélès. Nombre de ses compositions, telles les tendres Nocturnes, les Trois petites fantaisies ou encore sa Barcarolle opus 65 sont d’ailleurs accessibles aux non-virtuoses, raison supplémentaire de se porter à leur rencontre.

Francis Poulenc

1899-1963

L’affaire est entendue depuis longtemps. Poulenc, dit-on, est un compositeur honorable mais il n’est pas l’égal des plus grands, il ne saurait côtoyer les géants. Il n’est certes pas facile de vivre à l’ère de Debussy et Ravel…Voire. Car l’homme est singulier. Plus autodidacte que d’autres, sa musique n’en ressemble pas moins à une broderie ouvragée. Attiré par les rengaines et les flonflons, il saura gravir, plus tard, les hautes cimes de la spiritualité. Extrêmement talentueux, prolifique parfois à l’excès, ce qui lui vaudra de composer jusqu’à se répéter lui-même, il n’en aime pas moins la rigueur du tempo, la sécheresse des attaques, la vélocité virtuose, la sophistication des accords et l’usage savant de la pédale.. Il prolonge un Chabrier faisant cheminer ensemble le cocasse et l’harmonie recherchée, ou encore un Satie fécondant le « banal » du quotidien. Pourtant, il ne les imite pas. Il est Francis Poulenc et personne d’autre. Il ne plane pas au dessus du commun des mortels, il marche à même le sol, à côté des humains, de leurs joies, de leurs doutes et de leurs espérances…Dans l’œuvre de Poulenc, la gouaille dissimule la pudeur, la verve l’emporte sur l’emphase, les scènes du quotidien nourrissent l’inspiration. Frivole -d’apparence-, elle cède à la tendresse et l’émotion.

Les prétendus « spécialistes » jugent-ils inégale sont œuvre pour piano? Soit. Il en convenait lui-même et a, sans doute, trop écrit pour tout réussir. Pour autant, les Improvisations se présentent en suite créative et inclassable, l’Histoire de Babar est des plus accomplies et la plus tardive Sonate pour deux pianos reste un pur chef d’œuvre. Sans oublier Les Mouvements perpétuels, la Suite pour piano et les Trois pièces, dont la dernière avait, tout de même, la faveur inconditionnelle d’Horowitz. Poulenc, pour tout dire, parle à l’imagination. Il le fait avec des accents de sincérité qui touchent et un brio de compositeur qui impressionne. Naturel, il « chante » juste.