Conférence donnée à Sciences Po Paris.

 
 

Quest-ce que conduire le changement?

Conférence donnée à Sciences Po

La conduite du changement est un sujet si vaste qu'il recouvre au fond le management de l'entreprise toute entière.La conduite du changement revêt une grande importance dans les organisations, institutions ou entreprises qui, pour la plupart d'entre elles, ont connu au cours des dernières années de profonds bouleversements.

Or, la définition d'une politique d'entreprise, sa déclinaison en stratégies, la mise en œuvre de structures et de systèmes, notamment d'information ne suffisent jamais à elles seules à produire le changement. Elles n'en forment que le cadre.

Afin de mettre en mouvement des effectifs, souvent enclins au conservatisme ou à la résignation faute d'un leadership éclairé, il faut agir : sur la distribution réelle du pouvoir, sur les comportements des acteurs vis-à-vis du changement, sur les processus par lesquels les organisations se transforment pour mieux accomplir leurs missions et réguler leur fonctionnement.

Je viens, déjà, de prononcer le mot le plus important : processus.Le changement n'est pas un objet qui se regarde dans l'espace, mais un processus étalé dans le temps.L'objet se situe dans l'espace, le processus se situe dans le temps.Le changement est à l'image de la vie, il coule en permanence comme le fleuve d'Héraclite. Il est donc par nature impalpable, difficile à maîtriser…

Pour changer une organisation, il faut utiliser les bons leviers. Les deux questions à poser sont : avec quels protagonistes conduire le changement ? à travers quels projets ? Tant que la réponse à ces deux questions n'est pas apportée, on ne peut pas parler de conduite du changement. Bien entendu, il y a d'autres considérations à prendre en compte :

1° De quel potentiel dispose-t-on dans l'entreprise, le département etc… ?

2° Où l'entreprise en est-elle de son histoire ? D'où vient-elle, qui est-elle ? Où va-t-elle ? En outre, quelle est la trajectoire des collaborateurs ?

3° Quelles sont les valeurs, les principes d'action qui l'animent et constituent sa culture ?

4° Quels sont les principaux dysfonctionnements observés ? Dans l'équipe de tête ? Chez les collaborateurs ?

Quel est l'état émotionnel des équipes ? La peur ? L'enthousiasme ? La résignation ? L'antagonisme ? Le sauve qui peut individuel ? L'envie d'avancer ?

6° Quelles sont les perceptions réciproques des « métiers » des uns et des autres ? Comment par exemple les journalistes perçoivent-ils les gestionnaires ?

L'ensemble de ces questions doit se poser a priori, avant d'amorcer un processus de changement. Ces questions se posent aussi en cours de route. Elles se posent encore quand le changement est achevé, car il est menacé de remise en cause.En fonction de la réponse à ces questions, on peut parler d'une conduite pertinente du changement. Nous y reviendrons tout à l'heure.

En matière de conduite du changement, nous disposons d'un vaste répertoire duquel il convient d'extraire, puis d'interpréter, la bonne partition. Je vais essayer de vous le montrer par quelques exemples, en soulignant à chaque fois le rôle possible d'un consultant accompagnateur :

Premier exemple : Un président de société, venant de prendre sa fonction, modifie son équipe de direction, puis analyse la culture très conservatrice de l'entreprise. Il fait appel à un accompagnateur pour l'aider à réfléchir et surtout passer à l'action.Il détermine alors des projets transversaux de changement dans le domaine de l'action commerciale, de la gestion des risques et de la mobilité des personnes.

Tout en travaillant son style personnel, il mobilise les effectifs au travers d'une communication renforcée (séminaires, visites du réseau). Les équipes de projets sont constituées et les projets lancés. Le président en suit attentivement le déroulement et les infléchit en fonction des remontées des animateurs et du terrain. L'accompagnateur suit le déroulement complet du processus et en favorise la progression après avoir identifié les blocages.

Deuxième exemple : Le futur dirigeant d'une division d'équipements automobiles se prépare à prendre sa fonction. Le groupe veut lui donner toutes ses chances et place auprès de lui un accompagnateur. Ensemble, ils repèrent les acteurs-clef, définissent les enjeux majeurs et réfléchissent aux projets à lancer dans le but d'animer les équipes et de promouvoir le changement (productivité, qualité, délais). Dans sa fonction actuelle de numéro 2, il teste auprès de ses équipes le management par projets afin de favoriser l'échange d'expérience et le décloisonnement. Il analyse en profondeur son mode de management, en identifie les lacunes qu'il travaille avec l'accompagnateur, de façon à passer du rôle d'expert à celui de dirigeant complet.

Troisième exemple : Le dirigeant d'une entreprise de services à distance – précédemment Directeur commercial – prend la relève de l'ancien Président, très charismatique, parti en retraite. Il lance un audit des équipes, identifie forces et faiblesses du dispositif et prend progressivement son rôle d'animateur (séminaires, conduite de réunions, plans d'action). Mandaté par l'actionnaire soucieux que la relève s'effectue en douceur, l'accompagnateur donne confiance au nouveau dirigeant, l'aide à établir les priorités et à acquérir sa légitimité.

Enfin, un autre exemple que j'ai connu avait trait au fonctionnement des instances : comment optimiser le fonctionnement du comité de direction, des groupes de travail, du conseil d'administration ? L'accompagnateur peut intervenir dans plusieurs directions : Quelle est la bonne cartographie des instances ? Comment les articuler entre elles ? Qui doit faire quoi ? Quelle gestion du temps mettre en place ? On voit donc bien que le contexte dicte le type et les modalités du changement à conduire.

Dans le même temps, il existe des constantes, des dimensions universelles du changement. J'en citerai quelques unes.Le changement doit être associé à l'idée de travailler mieux, plus efficacement, plus ensemble, de façon plus cohérente. La façon dont on le communique au départ est donc décisive. La conduite du changement est indissociable du changement de soi-même. Il faut d'abord faire sauter ses propres verrous : dysfonctionnements, peurs, style de management etc…

La légitimité d'un dirigeant à conduire le changement repose sur sa capacité à donner du sens au changement qu'il propose à ses collaborateurs.La légitimité repose sur des attitudes et non sur des comportements techniques.Les principales attitudes que je vous propose sont le calme, la confiance, le courage. Mais il y en a d'autres, tout aussi nécessaires : la conviction, la constance, la considération.

Pour passer du changement subi au changement voulu, il faut que cette légitimité existe, soit perçue, ressentie.Tout changement fait peur. Tout changement suscite une réaction a priori négative de remise en cause du statu quo. On le voit au plan national, mais c'est bien entendu vrai dans l'entreprise. L'appropriation repose sur l'adhésion des équipes, leur motivation, la compréhension qu'elles ont des enjeux et de la manière d'y répondre.

Pour cela il existe des outils. J'aimerais vous en citer deux : L'audit de management. Certains dirigeants souhaitent entreprendre l'audit de fonctionnement du dispositif de management en vigueur au sein du groupe qu'ils contrôlent ou de l'entité qu'ils animent, ceci dans le but de disposer d'une « carte » précise des forces et faiblesses du management du groupe qu'ils animent.Les entretiens portent le plus souvent sur les sujets suivants, précisés à chaque mission par un guide d'entretien adapté: Analyse des structures, de la culture, de l'organisation et du mode de fonctionnement actuels du Groupe,analyse des systèmes d'information et des relations entre directions opérationnelles et fonctionnelles, analyse de l'assimilation de la culture, des enjeux et des acquis positifs du dispositif de management en vigueur, identification des dysfonctionnements et des améliorations structurelles, culturelles et fonctionnelles à apporter en vue d'une meilleure performance globale du dispositif de management.

L'accompagnement managérial. Seul un accompagnement méthodique, étalé dans le temps, peut aboutir à des progrès mesurables, face à des situations de management précises :préparation du dirigeant à de nouvelles fonctions,aide effective à la prise de fonction pendant les premiers mois, préparation et conduite du changement, notamment dans des contextes plus multi-culturels, de post-fusion, évolution nécessaire d'une culture d'entreprise, mise en mouvement d'une nouvelle structure, préparation d'une relève, nouveaux enjeux technologiques ou commerciaux, ou plus généralement d'amélioration du leadership etc …

L'accompagnement consiste en des entretiens guidés et progressifs menés en face à face avec les dirigeants concernés sur une durée pouvant aller de quelques semaines à plusieurs mois (six mois pour une prise de fonction, jusqu'à un an pour la conduite de changements complexes). Au cours de ces entretiens, le dirigeant accompagné prend la mesure des enjeux et des changements qui en découlent et, surtout, il procède à une prise de conscience de son propre degré de préparation au changement de façon à modifier en profondeur son style et sa façon d'être, à prendre la mesure de ses atouts et à corriger ses lacunes.

Il s'appuie sur des protagonistes choisis pour conduire les projets et il en contrôle l'action, de façon à mettre en œuvre un management souple, démultiplié et adapté aux enjeux. L'expérience montre que ce dialogue, maîtrisant à la fois les dimensions managériales et psychologiques soulevées par cette " mise en mouvement contrôlée ", permet aux dirigeants de prendre progressivement conscience de la nécessité de modifier leur propre comportement et de faire " sauter les verrous qui leur sont propres ". Pour résumer, un accompagnement managérial doit comprendre quatre dimensions:

Il repose pour commencer sur un examen humble et sans faiblesse de la relation entre d'un côté culture et enjeux collectifs, de l'autre attitudes et comportements des dirigeants. Souvent seuls, ceux-ci doivent accepter de se soumettre à un questionnement relatif à leurs craintes ou leurs rigidités dans ce domaine, s'ils entendent s'approprier et tenir de façon exemplaire le rôle de chef d'orchestre du changement. Au-delà du désormais classique examen de leurs atouts (talents, compétences, communication), ils doivent en même temps travailler à renforcer leurs qualités de clairvoyance, de calme, de conviction, de concentration, de courage, de constance, de confiance, toutes qualités essentielles à la conduite du changement dans la durée.

L'accompagnement permet ensuite de s'assurer que les acteurs clefs du changement (proches collaborateurs ou cadres de terrain) sont bien en place et bien à leur place de sorte qu'il s'approprie réellement les enjeux qui leur sont proposés. Le changement étant un processus social, la détection et la mise à l'œuvre de ces protagonistes constituent un préalable indispensable au lancement de tout projet. Inversement, les " verrous " conservateurs ou antagonistes doivent être identifiés et traités par les méthodes appropriées d'information, de formation, voire de mobilité. Un suivi complémentaire des protagonistes peut d'ailleurs, et fort utilement, être entrepris à la demande du dirigeant, de même que l'audit de fonctionnement de telle ou telle équipe, sans jamais perdre de vue que la démarche doit rester centrée sur l'accompagnement du dirigeant lui-même.

3° Une fois les acteurs identifiés, et en concertation avec eux (là aussi avec des méthodes adéquates d'écoute et de recueil d'information), il s'agit de lancer des projets de changement riches de sens, symboliques et dans toute la mesure du possible transversaux. A titre d'exemple, on peut citer les sujets suivants : " augmenter l'efficacité de l'action commerciale ", " orienter l'activité vers ses clients ", " optimiser le temps et le coût de développement des produits ", " gérer les métiers et les compétences ", " concilier développement, rentabilité et risque " etc…Le choix, la communication et la conduite de ces projets produisent d'importantes modifications dans les comportements : décloisonnement des structures,écoute plus attentive des bénéficiaires (clients internes ou externes, administrés), concertation accrue grâce à la mise en place d'équipes de projets débouchant invariablement sur une implication, une motivation et un sentiment d'appartenance renforcés. Riches de sens, les projets substituent la coopération au conflit, l'initiative à la contrainte. Peu nombreux, traversant de part en part l'organisation, ils n'éludent pas les actions de progrès ponctuelle, au contraire, ils les fédèrent et en augmentent l'impact.

Le contrôle du déroulement des projets constitue une dimension essentielle de cette approche. Par nature, les équipes travaillant à leur réalisation sont dispersées en termes de métiers et de localisation et il est inéluctable qu'elles le soient. L'animation des projets est certes rendue plus aisée par les méthodes modernes de communication. Il reste que les effets produits doivent être mesurés y compris auprès des bénéficiaires de tous ordres, de sorte que les projets eux-mêmes puissent être infléchis à mesure de leur déroulement.

Quelles que soient l'approche et la méthode retenues, il faut encore retenir, et ce sera ma conclusion, quelques points essentiels :Accompagner le changement c'est s'inclure soi-même dans le processus. Trop de managers exhortent les autres à changer, sans se remettre en cause eux mêmes. Changer consiste moins à rompre brutalement avec le passé, qu'à faire émerger progressivement, par un processus, une façon de faire différente. La patience est la vertu du changement, elle est préférable à la brutalité. La règle est aussi nécessaire que la régulation. Il faut savoir laisser les collaborateurs « jouer entre les notes ».Faire émerger signifie aller de l'intérieur des personnes vers l'extérieur ; autrement dit ne pas plaquer des recettes extérieures sous prétexte qu'elles ont marché ailleurs. Changer, ce n'est pas copier mais plutôt inventer ensemble. Méfions nous des prétendus échanges de bonnes pratiques.

Il en résulte que conduire le changement consiste nécessairement en un processus tâtonnant. Essayer. Expérimenter. Chercher. Le changement est de l'ordre de l'apprentissage. Il faut accepter les écueils, les ratés, les grincements avant de parvenir à un processus plus fluide. Les musiciens travaillent des milliers d'heures pour ne plus penser à la technique. Le changement expose à l'aléa. Il faut accepter cet aléa comme une transition, s'ouvrir au hasard favorable. De toutes façons, pour trouver, il faut faire mouvement.

Nous n'avons pas le choix.

Je vous remercie.