Retour du Tchad

 
 

Retour du Tchad: Echanges avec mon confère David Lucas, consultant associé de Gaeris, David Lucas:

J'espère que votre séjour à l'étranger a été satisfaisant, et que vous goûtez maintenant à un repos bien mérité. Je viens vers vous suite à un article qui commence à faire rage sur viadeo, sur le hub « Eco confluence vers une entreprise nouvelle ». Il s'agit de mon post sur « Le plaisir au travail ». Je pensais que vous pourriez éventuellement m'aider à résister contre la confrérie des coachs…

- Remi Huppert:
Je viens de rentrer du Tchad après trois semaines de travail intense dans la chaleur, la poussière, les pannes quotidiennes d'eau, de téléphone, d'internet.
Sur les routes, en 2009, les femmes portent sur leur tête des chargements de bois et quelques tubercules qu'elles s'en vont vendre au marché. Dans la ville de N'djamena déambulent de jeunes chômeurs, toujours tentés par la maraude et les petits trafics. Tout le monde est plus ou moins malade, fiévreux, handicapé etc...
Au Tchad, comme ailleurs en Afrique, travailler est une bénédiction, mais je ne suis pas sûr que celà soit un plaisir. Il s'agit simplement de survivre et de résister à un ensemble de contraintes climatiques, écologiques, économiques. A la souffrance qui consiste à ne pas travailler, les gens préfèrent de très loin celle qui consiste à prendre de la peine pour survivre. Résister dans la dignité: dans ce domaine les Africains ont des leçons à nous donner. Je crois que les pays "avancés"ont perdu de vue la rudesse de la vie, la ruguosité des choses, la difficulté de satisfaire ses besoins fondamentaux. Je n'ignore pas que dans les entreprises les conditions de travail soient difficiles. Mais arrêtons de gémir! Elles le furent toujours, elles le sont partout, de la brousse africaine aux rizières d'Asie, si je me réfère à mes souvenirs.

Arrêtons de nous prendre pour des victimes. L'Occident n'est pas plus victime que le Sud, que je sache, de la crise en cours et encore moins du sous-développement. A force de faire miroiter le plaisir partout et "le bonheur en un clic", on a déployé un rideau de fumée, on a trompé les gens: Perdus le goût de l'effort (quel vilain mot), le courage, la volonté de dépassement (idem), perdue la dignité. Effort, courage, dépassement, dignité: vocabulaire totalement inapproprié pour les milieux bien pensants qui leur préfèrent les accents du lamento, de la complainte et du spleen. Ce ne sont pas des clowns qu'il faut envoyer dans les entreprises. Ni des coaches démagogues, épris de métaphores infondées, toujours prêts à éluder l'essentiel (l'effort) et à faire croire que le "ludique" va tout arranger. Mais des résistants, spécialistes de l'amor fati, un peu sévères certes, mais honnêtes, capables de tout reprendre à zéro, à commencer par l'éducation de l'esprit et l'apprentissage de la règle... du jeu.

- David Lucas:

Votre soutien m'a été précieux, et m'a aussi beaucoup touché. Vos remarques ont des accents nietzschéens qui m'ont fait penser à un passage de Par-delà le bien et le mal. Peu de consultants accepteront de vous suivre, et je crois que c'est aussi le fait d'avoir voyagé qui transforme le regard autant que la sensibilité. C'est finalement là une simple question de dureté de caractère. Je voudrais cependant ajouter à vos remarques sans n'en rien contredire, et vous inviter à ne pas sous estimer la souffrance morale dont les civilisations du nord peuvent donner l'occasion. Je crois même que d'un certain point de vue, nous souffrons d'avantage que le reste du monde. Ma source en la matière est un texte magnifique de Tocqueville, qui mérite une lecture des plus attentives...

- Remi Huppert:
Vous avez raison: je suis sans doute enclin à sous-estimer la souffrance des civilisations du Nord...Je regrette seulement que l'Afrique n'intéresse plus grand monde. Et j'en souffre, pour le coup, beaucoup. Beaucoup trop?Alors peut-être me faut il faire amende honorable, adoucir mon propos, le nuancer.
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